Médecine et société
 
 
 
   
 
   
     
 
     
 
  Coûts de l'espoir et de l'illusion ?  
     
 
     
 
     
 
   


Antibiotiques ou homéopathie ? D'erreurs en errements... la vérité comme en creux.


La recherche clinique est une chose, l'interprétation des résultats en est une autre. Voici l'histoire édifiante des interprétations erratiques de recherches pourtant parfaitement conduites sur les mérites respectifs des antibiotiques et de l'homéopathie dans le traitement de l'otite.

Disons-le d'emblée : les enjeux sont énormes. L'otite moyenne aiguë, étant une des raisons les plus fréquentes de consommer des antibiotiques, est une sorte de vache à lait pour l'industrie pharmaceutique. Etait, plutôt, et on verra pourquoi.

Cela fait une bonne trentaine d'années qu'on sait que nombre d'otites guérissent spontanément. On pensait que les antibiotiques pouvaient cependant éviter les complications et, dans environ un tiers des cas, accélérer la guérison. Mais ce tiers-là, comme on n'avait pas les moyens de le détecter, justifiait qu'on traite tout le monde. Conclusion normale et banale dans la recherche médicale, où on pèse les risques et les avantages potentiels. Dans le cas de l'otite, on préférait les risques des antibiotiques aux risques des complications de l'otite.

Tout cela était bien raisonnable, à un détail près. On avait évalué les antibiotiques dans des périodes très courtes après le début de la maladie. Ce détail ne semble pas avoir préoccupé beaucoup les chercheurs et on a traité des millions d'enfants avec des antibiotiques donnés d'office et par principe pour toute otite.

Une trentaine d'années plus tard, en 1997, un article jetait le trouble dans la communauté scientifique (Friese KH et collègues : The homoeopathic treatment of otitis media in children - comparisons with conventional therapy. International journal of clinical pharmacology and therapeutics vol 35(7), 1997). Une comparaison entre antibiotiques et homéopathie donnait l'avantage à la deuxième. Cette fois, les patients (des enfants de 6 mois à 11 ans) avaient été suivis pendant une année. Des 113 enfants traités par homéopathie, seuls 5 avaient dû recourir secondairement à des antibiotiques ; les douleurs n'avaient pas duré plus longtemps que chez les enfants traités d'emblée par antibiotiques ; aucun enfant n'avait souffert de séquelles durables (mais à cette époque, la plupart des enfants étaient déjà vaccinés contre les infections à heamophilus, ce qui diminuait en soi le risque de séquelles). Enfin et surtout, le nombre de rechutes était inférieur dans le groupe traité par homéopathie. Avec de tels résultats, les homéopathes et leurs patients claironnaient à tous vents qu'enfin l'homéopathie avait prouvé d'un seul coup son efficacité et sa supériorité&

& jusqu'à ce qu'une autre interprétation soit proposée : Il se pourrait que l'apparente efficacité de l'homéopathie soit un leurre : elle n'aurait aucun effet curatif ni préventif, simplement elle apparaîtrait, dans le cas de l'otite, supérieure aux antibiotiques à cause des effets négatifs de ces derniers. L'efficacité microbiologique des antibiotiques serait à double tranchant : la stérilisation de l'infection (bien sûr vitale en cas par exemple de pneumonie grave) serait généralement inutile dans le cas de l'otite, car la guérison intervient généralement de toute façon. Bien plus, une disparition trop rapide des bactéries ne laisserait pas le temps au système immunitaire de construire les défenses qui éviteront des rechutes.

Dans cette dernière hypothèse, il faudrait admettre que ni les antibiotiques ni l'homéopathie ne sont indiqués. Ceci est d'ailleurs la voie préconisée actuellement par bien des pédiatres, avec en principe (sans entrer dans tous les détails) un traitement de la douleur uniquement, des explications ("pourquoi si peu de médicaments"), et un contrôle de l'évolution - les antibiotiques n'intervenant que pour une petite minorité bien définie (Bollag U. et collègues : " L'otite moyenne aiguë - encore en discussion ". Forum médical suisse no 39, pp.963-968, 2001).

On aura cru aux antibiotiques pour toutes les otites; on aura cru à l'homéopathie triomphante; on ne croit plus rien du tout : N'est-ce pas là le principe d'une médecine qui se veut scientifique ? La démarche apparaît tortueuse : éliminer peu à peu les erreurs, ébaucher comme en creux des hypothèses de vérité, toujours partielles et provisoires. Tout le contraire des déclarations péremptoires que profèrent bien des thérapeutes disciples de maîtres incontestés et prisonniers de théories globales et définitives. Il s'agit au fond de ne pas confondre la médecine et la religion, ces deux sSurs qui peuvent bien sûr cohabiter, mais à la condition d'éviter l'inceste de leurs méthodes.

Quant à la valeur incontestable du placebo (" il faut y croire pour guérir "), ce sera pour un autre chapitre. Disons simplement qu'un remède qui aurait, en plus de l'effet " placebo " s'il est utilisé avec conviction, un effet spécifique indépendant, eh bien ce remède serait doué d'une efficacité double, ce qui n'est pas toujours un luxe&


B. Graz (septembre 2002)

Remerciements à Dr. Myriam Bickle, pédiatre, pour son aide à l'élaboration de ce texte.

Illustration originale Michel Pellaton, Rome 2002