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Coûts de la santé : Coûts de l'espoir et de l'illusion ?
Nous sommes prêts à payer des sommes très importantes pour les soins médicaux. Qu'est-ce qu'on achète, au fond ? Ne s'agit-il pas, pour une bonne part, d'acheter de l'espoir et de l'illusion?
" Acheter de l'espoir et de l'illusion " n'est ni polémique ni caricatural, mais hélas des données d'expériences. Il est désormais bien documenté qu'une partie importante des soins, y compris les plus chers, sont d'utilité douteuse ou infime. Nous savons bien que, le plus souvent, notre bonne santé ne dépend pas du tout des soins médicaux; on a lu et relu que, certes, " l'existence ou l'absence de soins peut être décisive pour la santé d'individus, mais elles ne permettent pas d'expliquer les différences d'états de santé des populations " ; on sait bien désormais que " l'élément clé pour la santé se trouve dans la qualité du micro environnement physique et social ", ce qui comprend des notions comme l'insertion sociale, la sécurité au travail, l'égalité économique (Evans R.G. dans " Why are some people healthy and others not ? " A. de Gruyter éd., New York, 1994).
On a beau savoir tout cela, mais qui voudrait tirer les conclusions du fait que "les besoins liés à la santé sont significativement différents de ceux de l'économie libérale" (Papart J-P, Chastonay Ph., Froidevaux D dans "La santé au risque du marché. Incertitudes à l'aube du XXIe siècle ", PUF éd., 2001).
Ces faramineux coûts de la santé peuvent être compris au contraire comme une tentative de concilier l'inconciliable : la santé-marché et la santé-droit. D'un côté l'économie libérale, avec sa médecine libérale, son paiement à l'acte, ses cohortes de démarcheurs de nouveaux médicaments et d'appareils médicaux hyper-sophistiqués ; d'un autre côté le droit au bien-être pour tous. Les nouvelles technologies pour tous, à des coûts exorbitants pour tous, voilà ce qu'on tente de préserver dans un système où il s'agit de ménager la santé et la croissance. Toute l'affaire est d'en avoir les moyens.
- Pourquoi se désoler, disent certains, de la hausse des coûts de la santé alors que partout ailleurs on se réjouit de la croissance ? Le marché de la santé est une mine d'or, le tout est de répartir ses coûts de façon acceptable !
Remarque en passant : des primes d'assurances calculées selon le revenu apportent un avantage à l'industrie médicale et pharmaceutique: de telles primes restent supportables pour tous bien plus longtemps, leur montant global peut augmenter beaucoup plus, elles permettent donc une plus forte croissance des coûts de la santé.
Pourquoi tient-on tant à se faire illusionner par le discours sur les lendemains radieux de la médecine ? Mécanisme courant, de bonne guerre chez les commerçants: on nous promet monts et merveilles, cures miraculeuses et jeunesse sans fin, on nous vend le tout très cher, et ensuite on revoit les prétentions à la baisse. Déjà les spécialistes de génétique nous signalent, " off the record " que les espoirs liés à leurs génomique et autres " bio-engineering " doivent être revus à la baisse. Autre exemple récent : les nouveaux anti-inflammatoires (les inhibiteurs de la COX-2), pour lesquels on nous annonçait une bien meilleure tolérance que les médicaments plus anciens, en les vendant un peu plus cher, jusqu'à ce qu'une nouvelle analyse des données d'expérience montre que non seulement les effets secondaires y étaient aussi fréquents mais qu'en plus les analyses présentées avaient été tronquées (Juni P. Rutjes AWS. Dieppe PA. Are selective COX 2 inhibitors superior to traditional non steroidal anti-inflammatory drugs? Adequate analysis of the CLASS trial indicates that this may not be the case. British Medical Journal. du 1er juin 2002, No 324(7349), pp. 1287-1288)
Faudra-t-il à nouveau vérifier si, même avec les soins les plus récents et les plus époustouflants, le curatif reste encore et toujours assez marginalement associé à l'amélioration de la santé, comparé aux influences prééminentes du milieu social et physique dans lequel on vit ?
Si l'espoir et l'illusion deviennent si chers, c'est peut-être à la mesure de la valeur que nous leur accordons - et de l'abondance dans laquelle nous vivons. Tout ce passe comme si on disait : " Finies ces vieilles consolations bon marché de la religion, de la philosophie ou du vin! Nous avons les nouvelles technologies, nous avons les thérapies complémentaires, nous avons les médecines du monde entier ! Pourquoi s'en priver ? ".
- Enfin quand même, me disait mon voisin, il y a bien des nouveaux traitements qui sont un véritable progrès !
- Bien sûr, je ne le contredis pas, il faut seulement se donner les moyens d'évaluer de façon neutre ces progrès. Ce que je voulais montrer, c'est que même si un très grand nombre de traitements sont plutôt inutiles, nous ne voulons au fond pas nous en passer, nous sommes même prêts à les payer cher, à cause de l'espoir et de l'illusion qu'ils entretiennent. Espoir d'une vie sans souffrance, illusion de la disparition du risque de souffrir, voire de mourir. En approfondissant la question des coûts de la santé, on en arrive inévitablement à la question philosophique de la peur de la souffrance et de notre finitude. Cet espoir et cette illusion dont nous avons tant besoin, nous comptons aujourd'hui beaucoup sur notre coûteuse et proliférante médecine pour nous les fournir.
- Beaucoup ou beaucoup trop ? Devrions-nous chercher ailleurs des réponses à certaines de nos angoisses?
- Voilà précisément, me semble-t-il, où devrait commencer le débat de société sur les coûts de la santé.

Michel Pellaton: Lire pour lire, l'égo de la santé.
(juillet 2002)
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