INTERVIEW DU PROFESSEUR D'ART PLASTIQUES

G a 16 ans, aîné de trois enfants, son père est français, sa mère américaine. La famille vit dans un quartier riche de Washington D.C. Les deux parents sont médecins et travaillent beaucoup. Le père se dit déprimé depuis 2 ans environ, apparemment depuis la mort du grand-père paternel de G. Depuis son plus jeune âge, G. est agité et difficile, il ne tient pas en place, a un caractère affirmé et parfois violent. Depuis quelques temps, il est suivi par un psychologue et prend des médicaments pour surmonter les difficultés qu'il rencontre au cours de son adolescence. Quelques jours avant une nouvelle visite chez le psychologue, G. dit à son père qu'il a l'impression " d'être un volcan ", puis, en se disputant avec l'une de ses soeurs, il devient violent et la tabasse. Elle est hospitalisée avec une côte cassée. G. est interné. En entrant à l'hôpital, il crie : " I'll kill the President ", ce qui, aux USA, n'est pas pris à la légère. La CIA est prévenue et veut interroger l'adolescent. Sur la demande du père, l'interrogatoire de G. est repoussé à plus tard., mais une enquête est faite auprès de la famille et des voisins. A sa sortie d'hôpital, G. est interrogé, et la CIA finit par retirer le dossier. A la maison, sous traitement médicamenteux, G. est actuellement calme, mais sa famille est triste, disant ne plus le reconnaître.

1) J'attends des autres parents qu'ils n'acceptent pas le caractère de G. et ses excès comme une fatalité familiale(le grand-père paternel était violent et colérique et une arrière grande tante est morte " folle "), qu'ils ne prennent pas les exemples des personnes de la famille qui ont eu du mal à vivre ou qui sont déprimés pour justifier la " maladie " de G. J'attends de ses parents qu'ils remettent en cause l'environnement dans lequel la famille vit et qu'ils se remettent en cause eux-mêmes.

2) J'attends des médecins qu'ils ne considèrent pas d'emblée G. comme un malade et qu'ils n'emploient pas de médicaments qui risquent de le couper de lui-même. Qu'ils l'aident s'il souffre, mais n'envisagent pas la prise de médicaments comme une solution. J'attends d'eux une thérapie psychanalytique, qui permettrait de situer les problèmes pas seulement sur G., mais aussi autour de lui.

3) J'attends des amis de G.- qu'ils le restent. En me référant à la situation en France, j'attends de ses professeurs(que je ne connais pas) qu'ils le placent, si possible, dans une classe à effectif réduit (ce qui reste difficile, voire impossible en France) où on peut mieux gérer ce genre de situation. A l'instar des Dakotas d'Amérique du Nord, j'attends de la communauté sociale qui entoure G. que tous se sentent concernés par son mal-être et inventent des solutions pour l'intégrer à la vie sociale sans l'interner dans une institution, ce qui est à mon avis la pire chose à faire.

La même interlocutrice s'exprime à propos d'A., 15 ans, dont elle est à la fois la professeur au collège (arts plastiques) et la voisine.

L'adolescent est le dernier d'une famille de trois enfants. L'aîné est au chômage, la seconde poursuit ses études en lycée technique, A. est au collège, la mère ne travaille pas, le père travaille à l'équipement (travaux publics).La famille vit dans un petit village bourguignon. Le fils aîné, qui est au chômage, parle à sa mère d'une façon injurieuse, même devant d'autres personnes, ce qui est pénible pour elle et pour A.. Le bruit court dans le village que le père - et parfois aussi le fils aîné-- battent la mère. Très longtemps, encore en sixième (12 ans environ), la mère de A. l'a accompagné tous les matins au car en lui donnant la main, elle disait que ça lui faisait faire sa promenade matinale. Elle raconte un jour, en revenant de cette promenade, que A. fait une dépression, qu'ils ont dû l'emmener chez le docteur et qu'il prend du Prozac. Elle dit le surveiller de près parce qu'il veut mourir, il a des phobies depuis son opération de l'appendicite, refuse les crayons de couleur donnés par sa sœur parce qu'ils sont " contaminés ", etc... Cependant, à l'école, il est plutôt bon élève, il veut devenir avocat. Après les vacances d'automne, A. semble très lointain, il est très pâle. Sa mère a recommencé à l'accompagner au car matinal en lui donnant la main.

1) J'attends des autres professeurs (mes collègues) qu'ils soient patients, qu'ils ne " coulent " pas A., et même qu'ils notent ses travaux plus haut que ce qu'ils valent vraiment en attendant qu'il aille mieux. Le directeur du collège, qui a déjà connu deux élèves suicidés en cinq ans, était très inquiet. Il a fait renforcer la surveillance d'A. discrètement et lui a fait confiance pour la guérison. J'ai moi-même, en tant que professeur, insisté pour que A. vienne pour une journée à Paris en promettant à sa mère de le mettre dans mon groupe. On essaye de le valoriser, pour qu'il s'envole de cette famille sans être trop blessé.

2) J'attends des médecins qu'ils proposent à A. de faire une psychothérapie sans prendre d'anti-dépresseurs, car je crois qu'il porte trop de choses sur les épaules et a un immense besoin de parler.

3) J'attends de sa sœur aînée, qui a pris le large, qu'elle l'aide en lui témoignant de l'amour. De son frère aîné qu'il ne se moque pas des angoisses et des craintes irrationnelles de A. De ses parents, rien. Ils sont ce qu'ils sont, c'est trop tard peut-être. Sa mère le couve trop, elle doit le protéger... J'attends de ses copains qu'ils l'écoutent et qu'ils soient sympas avec lui. Maintenant, A. va un peu mieux. Au collège, dans la classe, il commence à parler de son état de " quand il était déprimé " et ses copains l'écoutent, curieux que cela puisse arriver. Ils m'ont étonnée.

En classe de dessin, A. a présenté un collage représentant un corps rempli de coton peint (la douceur) et entouré de punaises, pointes tournées vers le spectateur. C'était fabuleux, j'ai noté 20 !