INTERVIEW DU PASTEUR

Pasteur de 28 ans environ, s'occupant à 50% des jeunes d'une petite ville industrielle et commerçante au bord du lac Léman. Dans cette ville, les trois pasteurs présents se sont partagé les activités pastorales auprès de la population selon les groupes d'âge, dans le but d'avoir une meilleure répartition des expériences et des compétences. Ce pasteur s'occupe donc, outre l'enseignement du catéchisme, d'organiser des week-end et des camps avec les jeunes de 10 à 20 ans. Il les rencontre aussi régulièrement lors de soirées organisées autour d'un invité et d'un thème- ou de façon plus informelle - selon leurs demandes collective ou individuelle.

1. (attentes des autres gens d'église) "

- J'attends d'abord de l'écoute et de l'accompagnement, ainsi qu'une réflexion, théologique dans notre cas, et qui prenne en compte la situation et les problèmes du jeune qui vient nous voir. Cette approche me semble plus importante que la tentative de convaincre d'une certaine vérité. Il faut, à mon sens, éviter de dire des choses comme " c'est un péché de douter ". Bien sûr je dis ce dont je suis convaincu, ma croyance à la vie, qu'une période difficile est peut-être un passage, que c'est temporaire. Il n'y a pas de position officielle de l'église protestante par rapport au problème du suicide. Je présente mes convictions en étant prêt à en débattre. Il me semble qu'un des rôles des représentants de la religion, quelle qu'elle soit (et les religions sont nombreuses ici), c'est de situer le problème d'un individu dans un contexte plus vaste, montrer que telle question qui préoccupe un jeune, les humains se la sont posée depuis très longtemps.

2. (attentes du monde médical) "

- J'ai recommandé à trois jeunes d'aller voir un psychiatre. J'ai même amené l'un d'eux jusque devant la porte du médecin. A chaque fois, il y a eu une crise pendant un week-end ou un camp, par exemple l'un d'eux s'est mis à pleurer tout le temps, voulait en finir.

J'attendrais du monde médical un peu plus d'information en retour. Je comprends que c'est très confidentiel une prise en charge médicale, mais quand même, quelques indications pourraient être très utiles. Ce pourrait être des indications aussi simples que " ne vous inquiétez pas " ou au contraire "vos interventions vont à l'encontre du la psychothérapie ".

Je souhaiterais que le personnel médical prenne en compte le pasteur pour ce qu'il est. Si chacun reste dans ses compétences (et non ses prérogatives !), alors travailler en réseau est plutôt positif. Par exemple, quelque fois un jeune me confie quelque chose qu'il n'ose pas dire à son psychiatre; j'essaie alors de l'aider à dire ce qu'il veut à la bonne personne, peut-être en l'écrivant sous la forme d'une lettre.

3. (attente des autres) "

- des amis, des copains, j'attends qu'ils soient présents, aussi quand l'un d'eux déprime. Pour cela, les camps et autre moments collectifs sont de bonnes occasions où se forment des sortes de petites communautés où les gens peuvent prendre soins les uns des autres.

Les familles : je n'ai pas beaucoup de contact avec les parents. La raison à cela est que je suis soumis au secret pastoral, qui est très contraignant. J'offre aux jeunes un lieu de confidentialité.

Avec les enseignants, j'ai assez peu de contact ces temps. Je n'interviens pas dans les écoles ; je le faisais plus avant, mais le nouveau directeur du collège, qui a un pouvoir étendu à ce niveau, n'étais pas favorable à une présence de ma part dans son établissement. Il y a là peut-être une inquiétude qu'on vienne faire de la propagande, qu'on vienne embrigader les gens.

De façon générale, ce que j'observe ou cours de mes activités de pasteur, c'est beaucoup de fatalisme chez les jeunes actuellement. Ils ont de grands rêves, ils voudraient tout chambouler, mais, en même temps, ils sont sûrs que ça ne peut pas marcher et ils baissent les bras. Ils entendent beaucoup de la part de leurs parents et de leurs aînés que " le monde n'est pas drôle ", ils sont dans une grande morosité. Dès qu'ils sont confrontés à un vrai problème, ils sont tout éberlués de découvrir que la souffrance, ça existe. Ils ont pourtant de grandes connaissances, mais qu'ils ont survolées, comme en zappant à la télévision. Quand ils sont confrontés à un problème réel, ils n'ont pas idée de se mouiller un peu.

En plus, il leur manque un bout de culture. Dans le domaine dont je m'occupe, la plupart n'ont aucune base. Les histoires qu'on trouve dans la bible, qui racontent comment des hommes et des femmes ont surmonté des souffrances et des difficultés, ils ne les connaissent pas. J'essaie de combler cette lacune, c'est entre autres une manière de décentrer son problème individuel, de le situer dans une dimension historique plus vaste. Je crois qu'il manque à beaucoup de jeunes les bases de culture qui pourraient leur permettre de devenir au moins un petit peu révolutionnaires dans leur vie.

Ils sont un peu pantouflards, déjà.