INTERVIEW DU MEDECIN GENERALSITE

Yvette Barbier, médecin généraliste.

En tant que médecin généraliste, les "idées suicidaires" chez un jeune font partie de mon anamnèse, ne serait - ce que pour une simple raison épidémiologique. Le suicide est parmi les premières causes de mortalité des jeunes suisses, il est donc évident d'aborder le sujet.

Lorsqu'un jeune me "fait du souci", la première chose que je fais est de nommer mon inquiétude :"Il me semble que vous êtes triste, inquiet, que vous éprouvez de la souffrance et moi cela m'inquiète". Il faut oser nommer les choses en termes clairs "Avez-vous songé à vous détruire ? ". Il s'agit d'entrer en matière sur ce qui se passe ici et maintenant , de tenir le discours le plus clair et le plus direct possible et de donner l'occasion au jeune de le faire lui aussi, ici et maintenant.

Puis, j'essaye d'évaluer le risque, la gravité et l'urgence de la situation. Si le risque est considérable, j'attends que le système de soins mette à disposition des structures d'urgence, type centre thérapeutique de crise qui puisse recevoir et soigner le jeune tout de suite.

Si la situation n'est pas aussi critique, je passe avec le jeune une sorte de contrat "Voilà nous sommes bien d'accord qu'il y a un problème, que c'est grave et que nous allons nous en occuper. Nous allons prendre ensemble des mesures pour vous aider". Là, j'attends que le système de santé offre des structures de soins appropriées, avec du personnel compétent mais surtout disponible ! Dans une situation de ce type, un délai pour un rendez-vous ne devrait pas excéder deux à trois jours.

Le jeune est en général soulagé que l'on ait parlé de suicide et de risque, que l'on en ait parlé comme de quelque chose de grave mais comme quelque chose qui arrive et fait partie de la réalité des gens de son âge. Il se sent moins isolé, cela fait, d'une certaine manière, diminuer l'angoisse. De plus, se sentir pris en charge et avoir un no de tel à disposition en cas de crise; je donne toujours le no d'un Centre d'urgence, cela soulage déjà un peu.

Ce que j'attends des autres professionnels en contact avec les jeunes, c'est qu'ils soient suffisamment et dûment formés sur ce sujet., qu'ils soient au moins informés que le suicide est la cause majeure, avec les accidents et les morts violentes, de décès chez les jeunes de notre pays. J'attends qu'ils soient formés sur le risque suicidaire chez les jeunes. Pour moi c'est une exigence absolue. Dans les écoles, le système des médiateurs, lorsqu'il fonctionne, est excellent. Le problème c'est qu'il ne fonctionne pas toujours, cela dépend beaucoup de la volonté des Directeurs. Le système des médiateurs devraient être régulièrement réactivé.

D'autres professionnels et d'autres lieux devraient être touchés par ce type de formation, en particulier l'armée. Le suicide durant l'école de recrues n'est pas un événement rare. Les militaires devraient porter une attention particulière à cela. Le nombre de suicides durant l'école de recrue, dans une société comme la nôtre, est inacceptable, même si j'ai entendu un officier supérieur me répondre au sujet d'une recrue particulièrement à risque et dont je m'occupais "Oui, oui je vous comprends, mais cet été nous n'en sommes qu'à 5 (suicides donc)".

Ce que j'attends des jeunes eux-mêmes ? j'aimerais qu'on leur offre une sensibilisation à la question, tout comme on le fait pour l'éducation sexuelle, le prévention du sida ou des accidents.

Les jeunes entre eux sont un bon système de surveillance, ils sont sensibles à ce qui arrive à leurs copains et souvent les premiers à se faire du soucis. Savoir de quoi on parle, savoir où s'adresser, encore une fois nommer les choses, verbaliser ce que l'on n'ose pas dire et le faire dans un certain cadre. Voilà qui devrait faire partie des mesures de prévention générale. Je pense qu'il est préventif d'avoir entendu parler du risque suicidaire comme d'une réalité. Et surtout, les Directeurs d'établissement devraient être bien attentifs, lorsqu'un de leurs élève se suicide, d'informer enseignants et élèves sur ce qui est arrivé. La question du secret est absurde. De toutes manières, c'est en général un secret de polichinelle qui engendre une angoisse profonde chez tout le monde. J'ai été sollicité à de nombreuses reprises dans ce genre de situation, soit par l'intermédiaire d'enseignants, soit directement par des élèves qui me connaissaient et qui m'ont demandé d'intervenir en classe suite au suicide d'un de leur collègue. Il faut informer et à nouveau nommer ce qui est arrivé. Permettre à chacun d'en parler, d'en faire quelque chose d'autre qu'une peur diffuse.

Quant aux parents, au fond, c'est la même chose que pour tout le monde. Le problème est le tabou du suicide. Le tabou n'est pas de ne pas vouloir avouer que quelqu'un a voulu se suicider ou s'est suicidé. Le tabou c'est de ne même pas pouvoir nommer, évoquer la chose. Les familles sont souvent très inquiètes et au lieu d'exprimer franchement qu'ils ont peur que leur enfant se suicide "ne fasse une bêtise" il s'agitent en tous sens, l'anxiété est au maximum mais personne ne met de mot sur les raisons de cette tension.

Parfois, les parents sont aussi réticents à encourager leur enfant à consulter un spécialiste, le médecin de famille, l'infirmière scolaire, ou tout autre professionnel, peut-être parce qu'ils pensent qu'ils sont les seuls à pouvoir comprendre et aider leur enfant. Ils peuvent l'aider en l'encourageant et en l'accompagnant dans sa demande d'aide. Les adultes ont souvent tendance à projeter sur les jeunes leurs propres croyances et angoisses face à ce sujet. Par exemple, un Directeur d'établissement m'a demandé un jour d'intervenir dans son collège lors d'une journée à thèmes. Il me demande de parler de la mort. Je prépare une intervention liée à la réalité de mon "public", à savoir les accidents, la prise de risque et le suicide. Le Directeur à qui je propose mon programme s'exclame "Mais vous ne parlerez donc pas des soins palliatifs?!". Les enseignants et lui-même, tous confrontés comme de juste dans cette tranche d'âge aux cancers d'un proche, ne pouvait imaginer parler de la mort sans évoquer ce qui les préoccupait le plus. Mais qu'est-ce qu'un jeune de 16 ans en a à faire des soins palliatifs !

Cette anecdote montre bien combien il faut prendre garde à la demande des autres et non pas plaquer sur les autres nos propres préoccupations.