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INTERVIEW DU COPAIN
1. Les attentes envers les autres dans l'entourage.
" Je pense qu'il faut distinguer deux catégories de gens : ceux qui ont subi des choses trash, une série de mauvais plans et ceux qui sont touchés par des trucs plus existentiels ". Le problème avec cette question des attentes c'est que, suivant le cas, c'est très dur de remarquer quand une personne est vraiment mal, et donc d'attendre quelque chose des autres. Souvent le déclencheur peut être très bénin, et on fait pas gaffe. A mon avis 90 % des gens chez nous sont potentiellement dépressifs ; chez certains c'est continu, chez d'autres par phases, et chez d'autres encore c'est maîtrisé.
Par exemple je connais une fille qui avait des problèmes au niveau de sa mâchoire, qui s'est fait opérer et ça a raté, dans la foulée son frangin est mort et elle a raté ses exa. Elle a eu un cumul de mauvais trucs dans une période assez brève, et elle a complètement craqué : elle s'est jetée en bas d'un pont. Je sais pas s'il faut dire heureusement ou malheureusement, mais elle s'est ratée. Suite à ça, elle a été très encadrée et on l'a maintenue en vie contre sa volonté. Maintenant elle vit sous antidépresseur et elle est dépendante des psy et des éducateurs. Franchement qu'est-ce qui est mieux de vivre comme ça ou de mourir ?
Evidemment les attentes envers les autres, surtout les gens qui la connaissent, c'est qu'ils se préoccupent d'elle. Mais il faut se préoccuper des gens avant qu'ils aillent mal. Toutefois à nouveau c'est ambigu, car si tu changes d'attitude avec quelqu'un, il peut aussi se dire : mais pourquoi machin se comporte en éduc avec moi ? Il faut savoir être sincère et attentif mais sans tomber dans la commisération.
Mais des fois aussi la personne attend trop. Ce que je veux dire c'est que quand je suis allé voir cette fille à l'hôpital pour la soutenir, elle a commencé à avoir des attentes énormes envers moi, et je ne pouvais pas forcément les assumer.
Un autre exemple, j'ai connu plusieurs personnes qui se sont mises dans un trip d'autodestruction poussé à l'extrême (fumée, alcool, drogues). Là tu te doutes que quelque chose ne va pas mais la personne ne veut pas de l'aide, elle se détruit par état d'esprit. Quand mon pote P. a commencé à jouer avec les limites de la vie et de la mort j'ai été démuni par rapport à ça. Par exemple il décide pour déconner de traverser le pont Bessière en équilibre sur la barrière... pour se marrer... comment réagir ? Avec lui ça tournait à l'automutilation, il en avait plus rien à foutre de son corps, il ne soignait plus ses blessures, des choses comme ça. Pourtant le jour où il s'est fait attaquer dans la rue, il s'est défendu... ça paraît paradoxal non ? Dans ce genre de cas, surtout si tu vis avec, tu t'investis et souvent ça échoue. A partir d'un certain stade, pour soi comme pour les autres, il est difficile de supporter une demande ou une attente trop forte. Soit tu te protèges toi, soit tu protèges l'autre, car il y a aussi le risque de sombrer avec. C'est un cercle vicieux.
Cette question des attentes... je ne sais pas, c'est trop difficile à identifier ce que tu peux faire. Y a tellement de types différents de demandes, et encore faut-il savoir les interpréter. Forcément t'attends que les gens fassent des trucs avec la personne qui n'est pas bien... mais à nouveau pourquoi le faire quand elle va pas bien ?
2. Sur le monde médical.
Est-ce qu'il faut que j'aille chez un médecin ou pas ? A partir du moment où tu fais appel au médecin, c'est que t'acceptes que t'as un problème de cet ordre là. T'es sûr qu'on va te prescrire des médics et que c'est leur façon d'aborder la question. Je dis pas, il y a des gens que ça peut aider, mais la fille que je connais, de voir un psy ça a été encore pire... je pourrais pas te dire exactement pourquoi. Ce qu'il y a c'est que le monde médical te trace une perspective dans laquelle tu te trouves aiguillé. On te propose un produit à l'essai en attendant que ça aille mieux... une dépendance à la place d'une autre.
Je me rends compte que je ne répond pas bien à la question... mais le médical, c'est voué à l'échec.
3. Le problème c'est que la représentation sociale du suicide est erronée, on imagine le pendu, le pont, la balle dans la tempe. Mais les gens qui fument deux paquets de clopes, qui travaillent 12 heures par jours, etc. ça peut aussi être du suicide... à partir de quel stade il faut donner des réponses ou attendre quelque chose. Je pense qu'il y a un décalage face à la souffrance entre les besoins immédiats de la personne et ce qu'on peut comprendre comme le véritable problème : les circonstances sociales et humaines qui génèrent la souffrance. Et en même temps on ne peut pas vraiment faire de théorie sociologique sur l'aliénation sociale et humaine produite par le système à une personne qui va mal. Je pense aussi qu'il faut pouvoir reconnaître que se suicider, des fois, c'est peut-être mieux comme ça. Enfin, plus personnellement, il faut admettre que quand tu viens en aide à quelqu'un tu peux rater et que c'est pas forcément de ta faute.