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INTERVIEW DU SPECIALISTE
1 et 2 . Des autres médecins, j'attends qu'ils soient prêts à parler avec le jeune et avec son entourage. Qu'ils essaient de dépister systématiquement les personnes à risque suicidaire. En cas d'hospitalisation, il est important que les médecins offrent une prise en charge particulière, par exemple qu'ils prolongent l'hospitalisation au-delà des besoins strictement physiques si nécessaire, pour que le jeune ait deux ou trois jours pour réfléchir, se demander ce qu'il veut faire de son geste suicidaire. Souvent c'est difficile en hôpital de convaincre les collègues de garder, par exemple dans un service de médecine interne, quelqu'un qui n'a pas de maladie physique, surtout quand l'hôpital manque de lit.
Il faut aussi travailler en réseau avec les autres personnes en contact avec ce jeune.
3. Des proches j'attends quelque chose, mais eux attendent aussi beaucoup de moi ! Je leur demande d'être prêts à accompagner la personne, ensuite à entreprendre éventuellement un travail pour améliorer la communication, à venir peut-être consulter ou faire une thérapie de famille.
Souvent les parents sont très surpris, c'est pour eux comme " le ciel qui leur tombe sur la tête " ; ils disent alors " on va faire attention ", sans réaliser à quel point il faudra s'investir plus, être prêt à prendre du temps, à se remettre en cause (ce qui est le plus difficile !).
J'encourage aussi les parents à faire partie du réseau (avec les médecins, les enseignants, les travailleurs sociaux). Cela aussi est difficile pour eux, parce qu'ils sont les seuls non-professionnels du groupe. En plus ils ont parfois peur d'être accusés.
Les adolescents ne sont pas prêts à ce que leurs parents se mettent à les surveiller 24 heures sur 24. Il s'agit de trouver la bonne distance, de laisser s'élargir cette distance à mesure que l'adolescent devient plus autonome, de respecter l'évolution de chacun.
Pour les frères et soeurs, c'est dur, il sont quelque fois assez perturbés. Parce qu'on craint qu'ils soient trop fragiles, on les met un peu à l'écart, aussi parce que tout le monde s'occupe beaucoup du suicidant ou du déprimé - si bien que les frères et sœurs se sentent un peu délaissés. Et pourtant, ces liens fraternels sont importants. Les frères et soeurs peuvent être les plus proches, avoir le meilleur dialogue. Ils peuvent avoir un effet d'entraînement du côté de la vie - à moins qu'ils aggravent les idées suicidaires quand il y a conflit ! Quoiqu'il en soit, ils devraient pouvoir exprimer leurs besoins à eux dans cette situation.
Des copains et copines du même âge, j'attends qu'ils ne fuient pas devant le jeune, qu'ils essaient de ne pas avoir peur de ce qui s'est passé. C'est d'ailleurs, outre le " dé-briefing ", un des buts des séances que nous organisons en classe après un tentamen. Je demande aux copains de parler de leurs projets avec ce jeune pour l'avenir. Souvent le jeune était déjà très isolé avant ; j'attends que ses copains soient prêts à recréer des liens. Pour ses camarades, une tentative de suicide comporte à la fois un côté effrayant et un côté fascinant. Les jeunes suicidants sont vus un peu comme des pestiférés et en même temps ils suscitent l'admiration : " il a osé, il a eu le courage d'aller jusqu'au bout, etc. " Il y a là des analogies avec les " conduites ordaliques ", c'est-à-dire " le plaisir la prise de risque " dans des jeux et des sports dangereux (décrits par le sociologue David Lebreton).
Les enseignants ont un rôle à jouer dan le réseau. L'école et les responsables d'éducation devraient pouvoir se remettre un peu en cause à propos des pression qui sont exercées sur les jeunes, se rendre compte que la compétition n'est peut-être pas une bonne chose pour les jeunes. On dit " la vie c'est la compétition ", mais c'est aussi surtout la collaboration. On doit donner des atouts aux jeunes, leur permettre d'être des humains avant d'être des " bêtes de compétition ". Le dialogue avec les élèves peut être très ouvert ou très directif, cela dépend de la personnalité de l'enseignant. Cela dépend aussi des fortes pressions exercées sur les enseignants. D'ailleurs, chez eux le taux de dépressions est très élevé.
Il faut aussi évoquer les difficultés de contact entre parents et enseignants. Par exemple, certains parents ne se sentent pas à l'aise pour aller voir le maître. C'est aussi parfois parce que l'école se sent menacée qu'elle se protège en limitant le dialogue avec les parents.
Des journalistes et autres gens de communication j'attends un sens aigu des responsabilités. De façon générale, ils montrent les jeunes comme violents, délinquants, se suicidant...ils pourraient en donner une image plus positive, montrer plus des jeunes qui font des expériences positives, des écoles qui ont pris des initiatives intéressantes, des personnes qui s'en sortent bien. Il faudrait dénoncer de préférence ce sur quoi on peut agir. On parle des suicides collectifs à l'autre bout du monde, mais pas du pauvre SDF fait plusieurs tentamens par overdose. Il faut parler de l'aspect sociétal des problèmes, les pressions les exigences, les situations qui deviennent trop lourdes à porter.
Des patrons et des maître d'apprentissage, j'attends qu'ils soient plus attentifs à la personne. Pas seulement regarder le travail fourni, mais aussi voir comment chacun réagit. Pas seulement vouloir faire entrer le jeune dans le moule de " l'ouvrier lambda ", mais être respectueux de chacun, en reconnaissant le droit de chacun à l'erreur et à dire quand on est épuisé. Il faudrait que l'intégration du jeune dans le monde du travail se fasse petit à petit, avec des aménagements d'horaire par exemple.
En somme, il faut que les jeunes soient entendus.