Mammographie: qu'est-ce qu'on écrase, au juste?

Posons d'abord la  question aux hommes: Supposons qu'on dispose, pour le dépistage du cancer du testicule, d'un examen à l'utilité discutable et discutée. Est-ce qu'ils iraient docilement tous les deux ou trois ans se faire écraser leurs attributs virils entre deux plaques de radiographie?

La question se pose de manière à peu près analogue avec la mammographie. Prônée depuis des années comme l'examen de choix pour dépister le cancer du sein, elle est sérieusement remise en question. Après des données anciennes déjà contradictoires, voilà qu'une grande étude canadienne est venue jeter de l'huile sur le feu.

En comparant deux groupes de femmes tirées au sort (en tout 40'000 femmes suivies pendant 13 ans), les unes recevant seulement des instructions sur l'auto-palpation des seins et un examen clinique annuel par une infirmière, les autres ayant de surcroît une mammographie chaque année, il est apparu que les taux de mortalité par cancer du sein étaient similaires dans les deux groupes. Cela signifie-il que la mammographie n'apporte rien de plus que la palpation des seins?

Les détracteurs de la mammographie systématique expliquent que la majorité des petites tumeurs détectées sont en fait des pseudo-maladies et que pour les vrais cancers de petite taille un diagnostic très précoce ne réduit pas la mortalité. A quoi les tenants de la mammographie répondent que les Canadiens ont probablement utilisé de mauvaises techniques radiographiques.

Sans prétendre démêler les arguments des uns et des autres, on peut en tout cas affirmer que le test de dépistage idéal, celui qui permettrait de faire disparaître le cancer du sein du palmarès des causes les plus fréquentes de décès, eh bien on le l'a pas encore trouvé.

Or donc, en attendant, faut-il continuer à prôner la mammographie généralisée? 

En Suisse, il existe dans plusieurs cantons des programmes qui organisent le dépistage systématique par mammographie pour toutes les femmes de plus de cinquante ans. Selon le responsable interrogé, il ne s’agirait plus d'être "pour ou contre" la mammographie, car la plupart des gynécologues proposent l’examen à leurs patientes. La question devient donc: mammographie "sauvage" ou "contrôlée" et qui dit contrôle dit surveillance de qualité de la technique radiographique et deuxième lecture systématique des clichés pour limiter les erreurs.

Voilà de quoi ramener les chercheurs, si besoin était, à plus de modestie. Même si tous les scientifiques indépendants déclaraient que la mammographie n'a pas fait la preuve de son utilité, elle continuerait probablement à être utilisée et remboursée par les assurances maladies. 

Situation banale, au fond, tant il est vrai que si on appliquait la loi à la lettre -- et qu'on ne remboursait que les prestations qui ont démontré scientifiquement leur efficacité – seuls les riches auraient les moyens de s’offrir les traitements qui n’ont pas fait leurs preuves!

N'est-ce pas aux femmes concernées, finalement, de décider elles-mêmes, après information complète y compris sur les incertitudes, si elles veulent ou non se soumettre à la mammographie ?

Bertrand Graz, juillet 2003

 

"Ciel de Mai" (Jiri Kolar, 1991)

"Ciel de Mai" (Jiri Kolar, 1991)