Longévité à la carte ?

Prométhée avait volé le feu, apanage des dieux ; serions-nous, comme certains le prétendent, sur le point de leur voler l'immortalité?

La mort est devenue si "discrète, confinée, invisible " qu'on n'y croît déjà presque plus (cf de Lucian Boia " Pour vivre deux cents ans. Le mythe de la longévité " In Press éd., 1998).

On se prend à rêver d'une croissance infinie des indicateurs en santé publique, d'une "espérance de vie en bonne santé " sans borne, d'innombrables " années sans incapacité " et, pourquoi pas, sans fatigue et sans ride.

Car il ne s'agit plus seulement de vivre vieux, mais de vivre jeune éternellement. Est-ce possible ? est-ce souhaitable ? Les scientifiques débattent sérieusement de la première question, mais la deuxième n'est certainement pas de leur seul ressort.

A supposer qu'on ait de plus en plus le choix en la matière, qui voudrait rester vivant et en bonne santé pendant cent ans, cent vingt, cent cinquante ans ?

Les choses semblent avoir bien changé depuis l'époque du déluge, où une vie de patriarche s'étendait couramment et paisiblement au-delà de cinq cents ans… Dans "After many a summer" d'Aldous Huxley, les personages immortels finissent par devenir des bêtes, plus proches du singe que de l'Homme. Dans " l'affaire Makropoulos ", de Karel Capek, la femme de 300 ans décide de ne pas renouveler sa potion de longévité à cause de l'ennui profond où elle se morfond.

Au risque de s'ennuyer ou de devenir bête, combien d'années veut-on et à quel prix ? La question se pose déjà quotidiennement, à l'échelle réduite, quand on hésite à commencer un traitement préventif (qui peut être très onéreux et entaché d'effets secondaires pénibles) pour donner quelques semaines de plus à une personne âgée qui se dit rassasiée de jours.

Quand la longévité est une obsession (du patient, du médecin, du fonctionnaire des indicateurs de santé publique), doit-elle être traitée comme telle ?

A-t-on le droit d'ailleurs, du point de vue éthique, de dépenser des sommes colossales pour une longévité intensément médicalisée alors que d'autres humains n'ont même pas de quoi vivre leur courte vie dignement (cf C.Jasmin, R.Butler " longévité et qualité de vie, défits et enjeux " éd Instiut Synthélabo, 1999)?

Qui décide de la longévité de qui ?

Imaginons une façon de prendre en compte les désirs de longévité du principal concerné : le patient. On pourrait proposer une somme, sorte de " crédit ", qui correspondrait à la moyenne des sommes dépensées pour les traitements préventifs à partir d'un âge donné. A partir de là, chacun pourrait choisir d'utiliser son crédit pour les médicaments préventifs dont il aurait théoriquement besoin (hypertension, cholestérol, etc…) - ou pour une action sociale. En effet, l'assurance est basée sur un principe de solidarité entre assurés et de cette manière le principe de solidarité serait maintenu, mais avec la possibilité pour les bénéficiaires de réorienter des prestations dont ils estiment ne pas avoir besoin. Quels seraient les choix ? On verrait alors où la longévité se situe dans l'échelle des priorités telles que définies par chacun.

La question de la longévité se posera de plus en plus dans les termes d'une liberté supplémentaire : celle de décider si on veut, notamment par des moyens préventifs, indéfiniment éviter de mourir de vieillesse; donc aussi (en paraphrasant Tobie Nathan dans le livre de Jasmin et Butler) la liberté de juger quand on pense avoir acquis le droit de passer la porte des glorieux ancêtres.

juin 2002

Michel Pellaton: la mort d'Adam (d'après Yves Reynier), 2002